La multiplication des déséquilibres économiques et la paralysie des démocraties ont transformé la crise financière en une crise politique.
Huit ans après le krach de 2008, le spectre de la crise financière est de retour. Le FMI a ramené sa prévision à 3,2 % pour la croissance mondiale en 2016. L’inflation est limitée à 2 %. La guerre des monnaies et le protectionnisme rôdent. La volatilité remonte en flèche sur les marchés. Et ceci alors même que les politiques budgétaires et plus encore les politiques monétaires restent exceptionnellement expansionnistes.
Les inquiétudes se sont cristallisées autour du ralentissement de la Chine, de la crise de grands émergents comme le Brésil ou la Russie, de l’effondrement des prix du pétrole qui déstabilise les pays producteurs, du risque de déflation au Japon et en Europe, du renouveau des tensions autour de la Grèce et de la situation des banques qui ont perdu 20 % de leur capitalisation depuis le début de l’année dans la zone euro.
Ces déséquilibres sont en réalité les conséquences d’une même cause : l’excès des dettes. John Adams soulignait à juste titre qu’« il y a deux manières d’asservir une nation, l’une par les armes, l’autre par la dette ». Les nations, les entreprises et les hommes du XXIe siècle sont devenus l’otage de leurs dettes. Elles ont augmenté de 200 000 milliards de dollars depuis 2008, sans épargner quiconque. Les États développés, dont la dette atteint 107,6 % du PIB et menace de dépasser le haut historique atteint en 1945 (130 % du PIB), alors même que les engagements au titre des systèmes de protection sociale culminent entre 250 et 450 % de leur PIB. Les pays émergents où la dette publique a augmenté de 39,7 % du PIB à 47,5 % du PIB depuis 2009 tandis que la dette privée augmentait de moitié. Les entreprises qui ont profité de la baisse des taux pour multiplier les émissions d’obligations à haut risque.
En dehors de la banqueroute dont l’Argentine a rappelé en 2001 qu’elle était la plus coûteuse des solutions pour l’économie comme pour les peuples, la sortie des crises de surendettement passe par la mobilisation conjuguée de la croissance, de l’inflation et de la restructuration des systèmes publics. Leur mise en œuvre dépend du pouvoir politique. Les banques centrales peuvent créer un environnement favorable mais non pas les actionner.
L’économie du XXIe siècle n’est nullement condamnée à une stagnation séculaire. Il est vrai que la population mondiale va se stabiliser et vieillir. Il est exact que les gains de productivité restent modestes. Mais les sources de développement sont nombreuses et puissantes : décollage de l’Afrique, émergence des classes moyennes du Sud, économie de la connaissance, transition écologique et énergétique, seniors. Les réformes structurelles sont cependant un point de passage obligé entre croissance potentielle et effective. Elles doivent favoriser l’investissement et l’innovation, en engageant un effort massif d’éducation et de formation, en améliorant la concurrence, en soutenant la recherche, en renforçant la gouvernance de l’économie mondiale.
La déflation est une arme de destruction massive de l’économie de marché. Elle doit être évitée à tout prix comme l’a montré la grande dépression des années 1930. Voilà pourquoi les critiques contre les stratégies d’assouplissement quantitatif conduites par les banques centrales manquent leur cible. Elles ont réussi aux États-Unis comme au Royaume-Uni, qui ont renoué avec une croissance forte et avec le plein-emploi, parce qu’elles ont été associées à une politique de l’offre : hausse de la productivité du travail, restructuration du secteur financier, forte innovation. Elles ont échoué au Japon car la troisième flèche des Abenomics qui portait sur les réformes de structure n’a jamais été tirée. Elles ont obtenu de premiers résultats dans la zone euro. De premiers résultats ont été obtenus avec la sortie de récession, une croissance de 1,8 % et la création de 2,2 millions d’emplois en 2015. Mais ils restent limités et fragiles en raison du retard de six ans pris pour appliquer une politique monétaire adaptée, de l’incapacité persistante à restructurer et recapitaliser les banques, et plus encore du refus de la France de se moderniser et de rompre avec son modèle de décroissance à crédit.
La crise financière est devenue une crise politique. D’abord parce que les déséquilibres économiques et financiers sont démultipliés par les risques géopolitiques, du djihad mondialisé engagé par l’État islamique au réveil des empires en passant par le Brexit. Ensuite parce que le pouvoir politique est paralysé dans les démocraties par la déstabilisation des classes moyennes, la délégitimation des institutions, la poussée des populismes, la pression des démocratures. La solution de la crise financière est politique. La sécurité, au plan financier comme au plan stratégique, passe par la réforme au sein des nations et par la coopération entre les nations.
(Chronique parue dans Le Figaro du 17 avril 2016)